Dans un secteur en constante mutation, la grande distribution fait face à un défi majeur : le turnover croissant de ses collaborateurs. Philippe Rovira, expert du retail, formateur et auteur, livre dans ce podcast des clés essentielles pour comprendre ce phénomène et transformer cette contrainte en opportunité.
Un constat alarmant : la relation managériale au cœur du problème
La première cause de départ n'est pas liée aux conditions de travail ou à la rémunération, mais bien à la qualité de l'encadrement. Comme le souligne Philippe Rovira : « On ne quitte pas son entreprise mais on quitte son manager. » Cette réalité interpelle sur l'importance cruciale du rôle managérial dans la rétention des talents.
Le diagnostic est sans appel : « Le management c'est le nerf de la guerre. On a un problème d'image, on a un problème de recrutement, on a un problème de bien-être dans l'entreprise à cause d'une approche managériale qui n'est pas performante », résume notre invité sur le podcast.
Les causes multiples du turnover
L'Inadéquation Poste-Personne
Au-delà de la relation managériale, plusieurs facteurs expliquent les départs. L'inadéquation entre le poste proposé et les attentes du collaborateur constitue un piège fréquent. Qu'il s'agisse d'odeurs dérangeantes, de manipulation de produits spécifiques ou d'un environnement de travail non conforme aux attentes initiales, ces décalages peuvent rapidement mener à une rupture si aucune solution d'ajustement n'est proposée.
Un management inadapté
Le style managérial doit s'adapter à chaque profil. « Un management à la carte est indispensable pour pouvoir fidéliser nos équipes ». Certains collaborateurs souffrent d'un manque d'accompagnement et de proximité, tandis que d'autres étouffent sous un micromanagement excessif.
L'Absence de perspectives d'évolution
L'aspiration à progresser est légitime et nécessaire. « Si chaque fois on leur propose rien, ils ont porte-close sur toute demande, ils iront à la concurrence évoluer. Ça serait quand même dommage s'ils sont bons. » Les entretiens professionnels doivent donc sonder les ambitions pour proposer des parcours d'évolution, même s'ils ne correspondent pas immédiatement aux attentes initiales.
La spécificité des jeunes générations
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la durée moyenne d'un premier emploi en grande distribution est passée de 42 mois il y a dix ans à seulement 18 mois aujourd'hui. Cette évolution s'explique par un changement générationnel profond.
« Aujourd'hui, un jeune salarié connaîtra une dizaine d'entreprises sans aucun problème dans sa vie. » Cette mobilité n'est plus un stigmate mais une norme, particulièrement pour les générations Y et Z qui considèrent souvent la grande distribution comme un tremplin vers d'autres horizons.
Stratégies de fidélisation : s'adapter aux nouvelles attentes
Donner du sens et partager les valeurs
Les nouvelles générations ne se contentent plus d'exécuter des tâches. « Si tu ne donnes pas en permanence du sens aux actions que tu leur demandes de faire... tu auras beaucoup plus de mal à fidéliser et à recruter cette nouvelle génération. » Il devient essentiel de corréler les décisions avec les enjeux sociétaux de l'enseigne.
Offrir une véritable autonomie
L'aspiration à être acteur de son travail est fondamentale. « Si on te confie un poste de manager mais finalement tu as un rôle d'exécutant, tu aucune autonomie... Ça donne pas envie. » Les jeunes managers refusent la passivité et veulent se sentir responsabilisés dans leurs missions.
Adapter le style de management
L'approche condescendante ou autoritaire est désormais contre-productive. « Le style management fera en sorte que tu vas le fidéliser un peu plus. » Créer un environnement de travail agréable où l'on a envie de venir devient un enjeu majeur de fidélisation.
Renouveler et enrichir les missions
Pour éviter la lassitude, il convient de proposer régulièrement de nouveaux projets, des initiatives transversales ou des responsabilités annexes qui maintiennent l'engagement et l'intérêt des collaborateurs sur plusieurs mois.
Valoriser les atouts du secteur
Malgré les difficultés, la grande distribution possède des arguments de poids. « Il faut insister sur cette possibilité d'évolution rapide. On a la chance d'être dans un métier où on n'a pas besoin non plus d'avoir beaucoup de diplômes et c'est un tremplin social extraordinaire », explique Philippe Rovira.
Les perspectives d'évolution sont réelles : manager de rayon en un an, manager de secteur en trois ans, directeur en cinq ans. Avec les primes, les rémunérations peuvent également s'avérer attractives.
Améliorer la qualité de vie au travail
La QVCT passe par des mesures concrètes :
- Flexibilité sur les jours de repos (regroupement de demi-journées, week-ends prolongés)
- Abandon du présentiel forcé : laisser partir un manager qui a atteint ses objectifs plutôt que de le faire "attendre 17h"
- Éviter les remarques démoralisantes du type "Ah, tu prends ton après-midi ?
Le turnover n'est pas une fatalité mais peut devenir un levier de performance si les entreprises savent s'adapter aux nouvelles attentes. Cela implique une révolution managériale profonde, centrée sur l'humain, le sens et l'autonomie.
Dans un environnement concurrentiel où les talents se font rares, les enseignes qui sauront évoluer vers ces nouveaux modes de management prendront une longueur d'avance décisive. Car au final, fidéliser un jeune collaborateur une année supplémentaire grâce à un management adapté, c'est déjà une victoire significative dans la guerre des talents.