La lente, profonde et silencieuse mutation de la grande distribution

Quel avenir pour le commerce

La grande distribution française vit actuellement sa plus profonde mutation depuis les années 60. Loin d'assister à une simple crise passagère, nous sommes témoins d'une véritable révolution qui remet en question les fondements même de ce secteur. Les hypermarchés, ces cathédrales de la consommation qui ont façonné nos modes de vie pendant des décennies, montrent aujourd'hui leurs limites face à un consommateur en mutation et un environnement économique bouleversé.

L'effondrement d'un modèle : quand les géants deviennent des mastodontes

Le constat est sans appel : le modèle traditionnel de la grande distribution est en bout de course. Ces « mastodontes » érigés loin des centres-villes, avec leurs immenses surfaces remplies de rayonnages mais parfois boudés par les clients, incarnent désormais un passé révolu. Comme l'analyse justement Philippe Goetzmann dans un podcast enregistré en décembre dernier : « Le tout sous le même toit est en train de disparaître ». Les chiffres parlent d'eux-mêmes : marges en chute libre, fréquentation en berne, et des pertes vertigineuses comme les 5,7 milliards d'euros perdus par Casino en 2023.

Cette crise s'explique par une convergence de deux facteurs structurels.

  • De 1, : l'explosion de l'e-commerce qui redéfinit les habitudes d'achat ;
  • De 2 : l'évolution radicale du profil consommateur : fini le client captif qui effectuait ses courses hebdomadaires en voiture dans un hypermarché. Place au consommateur volatile, digital, en quête de sens et de proximité, pour qui la voiture n'est plus systématiquement le moyen de transport privilégié.
  • et de 3, l'inflation galopante et la guerre des prix achèvent de fragiliser un secteur déjà malmené. Cette course vers le bas tire les coûts et fait s'effondrer la valeur, créant un cercle vicieux dont il devient difficile de sortir.
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Comme le résumait Alexandre Bompard en avril 2024, PDG de Carrefour : « Notre industrie est confrontée à des défis sans précédent. Faire face à une crise après l'autre est devenu la nouvelle normalité pour nous ». Cette déclaration, prononcée lors du World Retail Congress 2024, illustre l'ampleur des bouleversements que traverse le secteur.

Noël Zierski, expert du retail et ex-DG d'Intermarché que nous avons reçu en janvier 2025 sur une série d'épisodes sur le podcast, expliquait cette dynamique négative : « En voulant aller trop vite dans la course à la taille, à partir des années 80 et surtout dans les années 90 et 2000, les intégrés ont dépensé beaucoup de force [...] leurs instances dirigeantes ont voulu tout contrôler, mettant pour cela en place des technostructures très importantes au niveau des fonctions centrales ». Cette financiarisation excessive a conduit à privilégier « la satisfaction des actionnaires et des banquiers » plutôt que celle des clients.

« Nous vivons une période comparable à la révolution industrielle » et « les modèles de croissance de demain ne sont pas ceux qui ont fait la rentabilité des 40 dernières années », Philippe Goetzmann, Mini-série L’avenir de la grande distribution sur le podcast.

Une recomposition brutale du paysage commercial

Les conséquences de cette crise structurelle se matérialisent par une vague de cessions sans précédent. Casino cède 300 magasins, Colruyt se sépare de 81 points de vente, Auchan négocie le transfert de 19 supermarchés à Lidl. Ces mouvements s'accompagnent de restructurations douloureuses : le plan social d'Auchan menace 2389 postes en France, illustrant l'impact social considérable de cette transformation.

Parallèlement, la carte des parts de marché se redessine. Si en 2008, sept enseignes captaient 90% du marché, il en faut aujourd'hui neuf, et cette dispersion n'est pas terminée. Cette recomposition profite particulièrement aux acteurs indépendants et coopératifs, plus agiles et mieux ancrés localement.

Petit à petit, le paysage de la grande distribution se redesssine.
Petit à petit, le paysage de la grande distribution se redesssine

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