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« Je ne pars pas tant que j’ai encore du travail » : ces salariés qui ne comptent pas leurs heures

En grande distribution, « ne pas compter ses heures » est une phrase qui revient sans cesse dans les allées des magasins.

Jonathan Le Borgne
Jonathan Le Borgne

À l’époque où le secteur vivait ses heures de gloires, le temps de présence rimait avec efficacité, dans le seul but de monter l’échelle hiérarchique. Mais aujourd’hui, la donne a changé.

On nous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Celui d’un temps où les chefs de rayon se battent, bec et transpalette, pour développer leur chiffre d’affaires, gagner quelques points de marge et se faire remarquer pour obtenir la promotion convoitée. Le prix à payer ? Faire des heures, souvent sans compter.

Ceux qui font des heures par passion, vocation et conscience professionnelle

Sur le volume d’heures réalisées, le débat est houleux : « je ne pars pas tant que j’ai encore du travail », commente ce responsable de magasins, « je ne reporte pas le travail à demain et si je le fais c’est par professionnalisme », reconnaît ce manager tout en concédant qu’il veut prouver à sa hiérarchie qu’ils ont eu raison de lui faire confiance au poste de manager qu’il convoitait.

Dans les commentaires que nous recevons, ces réponses sont nombreuses. Faire des heures relèvent presque d’une tradition dans ce secteur où la passion et la vocation viennent justifier cet investissement. Bien sûr, comme tous secteurs confondues, « ce n’est pas les heures qui compte, mais il faut avoir conscience que le rôle de manager ou directeur ne s’accomplit pas en 35h. Ça doit être une passion avant-tout », assume ce manager.

Mais faire des heures relèvent aussi d’un choix par défaut ou d’une « conscience professionnelle » : « dans la pratique, quand on est manager, c’est bien difficile de ne pas en faire car il faut déjà jongler avec les différents commerciaux », nous explique ce responsable, « sans oublier qu’il faut compenser avec les arrêts maladies, répondre aux réclamations clients… Alors, faire des heures c’est devoir en faire un peu plus chaque jour pour pallier les imprévus ». Une roue qui semble en définitive difficile à faire tourner dans l’autre sens.

En grande distribution, « c’est normal de faire des heures », concède cet autre responsable qui « adore son métier ». Il regrettera toutefois de devoir déployer un tel investissement dès lors qu’il doit parfois « annuler des vacances afin de devoir assister à des réunions obligatoires ». En conséquence, il finissait « par faire des heures par peur de perdre son emploi, et non plus passion ».

Nouvelle génération versus ancienne génération

Les POUR et les CONTRE d’un tel investissement sont nombreux. On retrouve d’ailleurs une opposition entre les plus anciens du secteur et les nouveaux arrivants : « temps de présence et efficacité ne sont pas liés du tout », explique ce responsable expérimenté, « le temps des semaines à 70h c’est du passé » insiste-t-il.

Les discours auprès de la nouvelle génération diffèrent sensiblement de l’ancienne génération qui a connu les heures de gloires du secteur. Les plus jeunes qui entrent dans le secteur aujourd’hui éprouvent un besoin de sens et cherchent davantage à concilier leur vie professionnelle avec leur vie personnelle.

« Au début, je ne comptais pas mes heures, au point de faire n’importe quoi. Maintenant, je fais une quarantaine d’heures ou plus, si besoin, mais je fais rarement plus de 10h dans la même journée », raconte ce manager. « Je l’ai fait pendant des années. J’ai obtenu un poste de manager et j’y ai laissé ma santé, ma vie sociale et familiale… », assume un autre manager, « aujourd’hui, l’important c’est d’être la quand il faut ».

Ceux qui font des heures mais qui n’assument pas pleinement les pratiques du secteur

Dans ce long débat, il y a ceux qui font leur travail par passion, d’autres par obligation : « le problème c’est que le boulot, il n’est jamais fini. Si on suit la logique de partir uniquement quand le travail est terminé, alors il faut prendre une chambre dans le magasin », reconnaît ce responsable qui accepte de dépasser de 10 ou 15 minutes sans toutefois que cela « ne devienne pas une habitude ».

Faire des heures peut aussi avoir des effets contre-productif : « rester 60 à 70h par semaine au magasin, ce n’est pas productif sur le long terme. Il faut savoir trouver un bon équilibre entre la vie professionnelle et privée », explique ce jeune manager, « je ne pense pas que l’on soit efficace quand on fait 60h, cela revient à faire de la présence en magasin ».

Malgré tout, les plus réticents d’entre eux concèdent que faire des heures « ça peut cependant arriver sans que ça ne soit pour faire de la présence », précise un autre manager, « en fonction des grosses opérations commerciales à monter, des absents dans l’équipe, des engagements à tenir, il y a des hausses d’activités qui font sauter les jours de repos », reconnaît l’un d’eux.

Cela semble presque inévitable du côté des managers de la grande distribution.

Et ceux qui refusent catégoriquement d’en faire plus

Forcément, dans ce flot continu de commentaire, on retrouve des professionnels pour qui faire des heures est de l’histoire ancienne : « au début de ma carrière, je ne comptais jamais mon temps », reconnaît ce manager aux 27 années d’expériences qui a fini par lever le pied par « manque de reconnaissance ».

La question des heures et du temps de présence provoquent des commentaires houleux. De nombreux employés réclament que leur manager respectent le code du travail : « les managers sont aussi là pour faire respecter le code du travail », insiste cet employé, « les managers doivent aussi montrer l’exemple et le faire respecter », explique-t-il.

Et le paiement des heures supplémentaires dans tout ça ?

À l’épineuse question de « faire des heures » revient aussi la question des heures supplémentaires. Généralement, les managers du secteur sont cadres, donc travaillent au forfait ce qui n’implique pas de préciser le nombre d’heures travaillées par mois. Ces derniers sont maîtres de leur temps.

Cela arrive toutefois que certains responsables non-cadre ne soient pas rémunérés davantage en fonction des heures de travail effectuées : « je ne quitte pas mon travail tant qu’il n’est pas fini », explique cet adjoint au manager, « mais par contre, je compte toute mes heures car j’estime que tout travail mérite salaire. Pour moi il est inconcevable de travailler gratuitement », précisera-t-il tout en expliquant que ces heures étaient plus souvent récupérées que payées.

Les avis sont plus tranchés du côté des employés : « nos heures supplémentaires ne sont plus payées », admet cette employée, « autant vous dire quand c’est l’heure, c’est l’heure ».

« Avant je restais sans compter et je le notifiais pour être payé. Aujourd’hui, quand je vois que je n’ai plus aucune reconnaissance ou quand je demande quelque chose et qu’on me dit non, bien je ne fais plus l’effort non plus », regrette cette salariée. Le travail a changé expliquera cet autre employé expérimenté : « les heures ne sont plus payées mais on nous demande de les rattraper », explique-t-il, « désormais, on nous demande de prendre des jours de repos, sauf que notre travail n’est pas fait si on s’absente, alors on doit batailler encore plus dur parfois pour rattraper le retard », concédera-t-il.

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Jonathan Le Borgne Twitter

Éditeur de Je Bosse en Grande Distribution. Passionné par la transition numérique des entreprises. Consultant, formateur et stratège en communication digitale pour la grande distribution.

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