
Immersion de l'autre côté des Alpes, à la rencontre de Luca Giacanelli Marketing Director au sein de Shopfully pour comprendre les grands enjeux de la consommation et de la communication locale en Italie.
Jonathan de Je Bosse en Grande Distribution : Bonjour Luca. Tu es manager directeur chez ShopFully. Première question toute simple, est-ce que tu peux te présenter rapidement et nous expliquer ton rôle chez ShopFully ?
Je suis directeur marketing chez ShopFully. Je travaille chez ShopFully depuis un an et demi. Chez ShopFully, je gère toute l'équipe marketing en Italie, en France et en Espagne. Pour parler rapidement de ShopFully, notre mission principale est de connecter tous les consommateurs avec les magasins à proximité. Nous cherchons à aider les consommateurs à faire le bon achat. Pour info, Shopfully est présent en Italie, en France, en Espagne, mais aussi au Portugal et dans la plupart des pays d'Amérique centrale, d'Amérique du Sud et en Australie. Aujourd'hui, on compte près de 50 millions d'utilisateurs.
Jonathan. Pour en venir à notre sujet principal de la digitalisation de la communication, comment se porte le marché italien ? Quels sont les types d'enseignes ?
En Italie, c'est un secteur dans lequel il y a beaucoup d'acteurs. Il faut considérer que les 10 premières enseignes comptent environ 20% du marché. Il y a plus de 300 enseignes, c'est un marché très compétitif. Si nous faisons une photo du marché, nous avons en premier, les grandes chaînes internationales, comme Carrefour ou encore Aldi ou Lidl. En deuxième position, nous avons des acteurs nationaux qui sont présents dans toutes les régions et dans tout le pays, comme Conad et Coop. En 3ème position, nous avons un groupe avec des acteurs qui ont une présence régionale. Par exemple, le plus important de ce groupe, c'est Esselunga.
Jonathan : Le marché est d'ailleurs beaucoup plus fragmenté qu'en France...
Oui c'est vrai. Par exemple, Esselunga est présent seulement au nord de l'Italie, il n'est pas au sud. Au sud, il y a d’autres chaînes de magasins. Il y a beaucoup d'acteurs qui sont présents juste dans quelques régions. La grande distribution en Italie est beaucoup plus fragmentée. Par contre, si on parle des enseignes d'électronique et de bricolage, c'est complètement une autre structure de marché. Par exemple, dans la catégorie électronique il y a les cinq principaux acteurs qui sont Expert, Unieuro, Euronics, Trony et Mediaworld qui représentent presque 80% du marché.
Jonathan : En France, toutes les enseignes aujourd'hui font un focus sur les prix bas pour attirer des consommateurs. Il me semble qu'en Italie, l'inflation est un peu plus forte, à peu près 6% il me semble. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ce contexte économique en Italie ?
L'inflation était de 8% en 2022 et de 5% en 2023. C'est quelque chose qui a vraiment touché les consommateurs italiens ces dernières années. L'Italie a connu deux années, l'une après l'autre avec une forte inflation, et ça a changé beaucoup la façon dont les consommateurs se comportent et comment ils font leurs courses. Dans son comportement type, le consommateur italien, c'est un consommateur qui fait ses achats 6 fois par mois. Il dépense 30 euros chaque fois, donc plus ou moins 200-250 euros par mois. Il visite trois différentes enseignes et si on regarde la répartition entre hyper, super et discount, on peut dire que 25% représente le discount et 75% représente l’hyper et super. Il faut aussi ajouter que deux Italiens sur trois ont déclaré être en difficulté financière. Il y a aussi un climat de préoccupations, parce que les Italiens sont très préoccupés par l'avenir.
Jonathan : Et cette situation semble être plus insoutenable en Italie comparée à la France...
Oui complètement. Les Italiens ne voient pas le bout du tunnel. Il y a une vraie préoccupation. Les Italiens vont de plus en plus chercher des promotions. Ils achètent de plus en plus des marques de distributeurs. Ici, les enseignes discount gagnent des parts de marché. Chez ShopFully, nous avons noté une augmentation de la fréquence de visite en magasin de +5% et une réduction du panier moyen. Les consommateurs achètent moins, mais plus souvent parce qu'ils cherchent la bonne promotion, la bonne offre et veulent éviter les gaspillages, parce qu'en ce moment, ils ne peuvent pas se permettre de gaspiller de la nourriture.
Jonathan : Sur le sujet de la promotion, est-ce qu'historiquement, c'est une population qui est promophile ?
Oui, absolument. Une donnée qui est intéressante, c'est que 60% des consommateurs en Italie préparent les achats en regardant les catalogues. C'est une population qui cherche vraiment les promos et les offres, qui regarde beaucoup ça.
Jonathan : Autre fait majeur, le comportement des Italiens sur les achats non essentiels a considérablement évolué. Tu confirmes ?
Oui vraiment, les Italiens ont réduit les dépenses et cela concerne aussi l'alimentaire. Par exemple, sur l'huile d'olive, qui est un produit très spécifique en Italie, fait -6% comparé à l'année dernière. Les jambons, un autre produit spécifique en Italie : -11%. La viande de bœuf : -4%. Le poisson : -13%. Il y a eu un changement dans la façon de faire les courses en Italie. On a coupé ce qui n'est pas essentiel, comme aller dîner au restaurant notamment. Les paniers alimentaires se sont recomposés en recherchant justement la réduction des prix.
Jonathan : On a parlé des consommateurs, et comment réagissent justement les enseignes ?
Ici, tous les retailers qui ont lancé des marques de distributeur ont fait beaucoup de communication sur ça et sur les bas prix. Tous les retailers ont mis en avant qu'ils étaient du côté du consommateur pour les aider à garder un peu une dépense soutenable pour faire face à l'inflation. Cela a généré beaucoup de tensions entre l'industrie et les retailers. Aussi, on a vu les enseignes faire des paniers à prix bloqué. Fait intéressant en Italie, le gouvernement est intervenu il y a deux semaines avec une initiative qui s'appelle les trimestres anti-inflation.
Jonathan : C'est le sujet de notre interview, on va parler justement du prospectus, de la promotion au sens large, mais où en est aujourd'hui l'Italie ? Est-elle concernée par le dispositif Oui Pub ? Est-ce que des enseignes ont dit stop au papier ? Est-ce qu'elles ont réduit les volumes d'impression ?
Tout d'abord il faut dire qu'ici en Italie les catalogues papier sont le premier média pour influencer les achats. 60% des consommateurs disent le consulter. Et si on prend en compte uniquement l'alimentation, ce chiffre monte à 85%. Pour donner un indicateur, les retailers en Italie investissent plus ou moins 600 millions par an. C'est le troisième marché le plus grand en Europe, après la France et l'Allemagne.
Jonathan : Et concernant l'arrêt du prospectus, y'a-t-il des avancées ?
En Italie, on n'a pas eu d'initiative comme Oui Pub en France. Le gouvernement n'a pas encore donné une indication sur ça, mais le switch entre catalogue papier et le catalogue digital a déjà commencé. Pour donner aussi des chiffres : avant le covid, nos clients dédiaient 10% du budget au catalogue digital et 90% au catalogue papier. Maintenant, le catalogue digital est devenu plus important que le catalogue papier. En proportion, nous sommes à 60% de promotions sur catalogue digital et 40% sur catalogue papier.
Jonathan : Et c'est pareil pour l'électronique et le bricolage par exemple ?
Pour l'électronique, on peut dire que les catalogues papier ont presque disparu, les retailers en électronique impriment encore un peu, mais surtout les catalogues qu'ils vont mettre dans les magasins, mais ils ne distribuent plus les catalogues en papier chez les consommateurs à la maison.
Jonathan : Tu as un exemple d'enseigne qui a arrêté la distribution par exemple ?
Oui, sur l'électronique, la plupart ont tous arrêté les catalogues en papier. On a une enseigne qui dépensait différents millions dans les catalogues papier avant le Covid. Depuis, cette enseigne a fait un switch total du catalogue papier au catalogue digital, et cela n’a pas eu d'impact négatif sur les ventes. Les ventes en magasin du canal physique ont même augmenté de 10%.
Jonathan : De mémoire, il me semble qu'Aldi aussi a annoncé arrêter le papier ?
Oui, toutes les grandes chaînes de retailer international ont déclaré être 100% digital ou en tout cas d'aller dans cette direction. C'est le cas d'Aldi aussi qui a déclaré être 100% digital.
Jonathan : C'est quoi la mouvance, justement ? C'est que toutes les enseignes arrêtent le papier ? Est-ce que toutes les enseignes vont se décider d'arrêter le papier ? Selon toi, c'est quoi la tendance ?
Le marché italien est déjà très différent du marché français. D'un côté, il faut vraiment différencier les grands groupes internationaux - qui je pense vont beaucoup dans cette direction - mais de l'autre côté, on a un marché des retailers alimentaires en Italie très fragmenté, il y a beaucoup d'entreprises locales. Pour eux c'est plus difficile d'arrêter les catalogues en papier. Les catalogues en papier ont été les premiers instruments de marketing et pour eux, c'est vraiment difficile d’abandonner complètement les catalogues en papier.
Jonathan : Cette décision de continuer le papier semble culturelle...
Oui ça l'est. Dans les entreprises plus petites, plus familiales, c'est difficile d'amener le changement. Le digital est quelque chose que tout le monde connaît bien sûr, mais pour les entreprises un peu plus petites, elles ont un peu peur d’abandonner un instrument qui fonctionne encore très bien et ils n'ont pas encore totalement confiance dans le digital.
Jonathan : C'est quoi, justement, les alternatives aujourd'hui ? Est-ce que c'est comme en France où on voit beaucoup d'usages sur les réseaux sociaux, on voit beaucoup les catalogues en ligne ?
En Italie, il y a d'abord l’audience organique via leur site internet. Après, ils sont présents sur les principales plateformes digitales : Facebook, Google, Instagram, et aussi la présence sur des sites spécialisés, des apps spécialisées comme nous, comme ShopFully, c'est quelque chose de central pour eux. Grâce à nous, ce qu'ils peuvent faire, c'est d'un côté, toucher notre audience qui est énorme en Italie, et on peut les aider aussi sur d'autres canaux. On utilise notamment nos données pour cibler l'audience. On peut les aider à communiquer la bonne offre à la bonne personne.
Jonathan : Est-ce qu'il y a une volonté aussi de créer de nouveaux formats, créer une nouvelle expérience autour de la promotion ?
C'est central comme sujet, parce que la première chose qu'on fait quand on passe au digital, c'est de prendre quelque chose de physique et on le met sur le digital. Ça, c'est la première étape. Cela dit, c'est quelque chose qui a beaucoup de limites en termes d'user experience. Si il s’agit juste d’un PDF, on n'utilise pas vraiment les potentiels du digital. C'est la raison pour laquelle je pense que le défi pour les retailers c'est d'innover sur les formats du catalogue, de créer des catalogues qui sont nativement digitaux, voire peut-être de créer un catalogue personnalisé. Le sujet du format, je pense que c'est un des défis les plus importants.
Jonathan : On va terminer sur une dernière question. Quand on regarde les catalogues promos dans d'autres pays, c'est toujours assez très dépaysant pour un Français, est-ce que tu peux nous parler justement des singularités des différents catalogues promos en fonction des secteurs ?
Oui. Alors le premier aspect c'est la longueur du catalogue, c'est entre 20 et 25 pages pour l'alimentaire et entre 20 et 30 pages pour l'électronique et le bricolage. Sur l'électronique, un fait intéressant qu'on observe en ce moment, c'est qu'ils sont en train d'augmenter le nombre des pages. Ils s'entraînent à tester de nouveaux catalogues avec 30, 35, 50 produits parfois. La longueur des catalogues sur l'électronique est en train d'augmenter. Deuxième aspect, c'est le temps de lecture. Le temps de lecture, c'est entre 2 minutes et 2 minutes 30.
Jonathan : Et concernant la fréquence... ?
C'est le troisième aspect. Sur l'alimentaire par exemple, il y a un catalogue chaque semaine, mais dans ces catalogues il y a des offres qui sont spécifiques pour 2-3 jours. Les retailers veulent vraiment montrer aux consommateurs qu'ils ont beaucoup de promotions. Sur l'électronique en revanche, la plupart des catalogues sortent toutes les deux semaines. Pour le bricolage, c'est une fois par mois.