C'est un succès commercial indéniable mais fragile. La salade de 4ème gamme incarne un paradoxe commercial fascinant. Produit hybride entre le brut et le transformé, elle a conquis 70% des consommateurs et vu ses volumes multipliés par cinq en trente ans. Cette réussite repose sur une promesse simple : la praticité sans compromis sur la fraîcheur. Pourtant, derrière les sachets bien alignés en rayon se cache une réalité économique explosive qui menace l'ensemble de la filière.
Une équation économique devenue intenable
Les producteurs tirent la sonnette d'alarme : l'explosion des charges énergétiques, le coût croissant de la main-d'œuvre et les aléas climatiques rendent leur activité déficitaire. La demande de revalorisation des prix à la production n'est plus une option mais une nécessité vitale. Le problème ? Cette hausse se heurte à une mécanique de marché particulièrement complexe.
C'est là que le terme « machine à casse » prend tout son sens. La 4ème gamme évolue dans un tunnel étroit, coincée entre deux logiques contradictoires :
- d'un côté, le consommateur accepte relativement bien les variations de prix du produit « service » qu'il achète pour son confort.
- de l'autre, il reste sensible à l'écart de prix avec la salade standard, dont l'élasticité est forte (au moins 1:1).
Augmenter la salade 4ème gamme sans que le prix de la salade traditionnelle ne suive créerait mécaniquement un report de consommation. Le consommateur ne compare pas le nouveau prix au précédent, il compare le prix du sachet prêt à l'emploi à celui de la salade qu'il devra laver lui-même. Et là, le différentiel peut devenir insupportable.
En magasin : la gestion impossible
Un cauchemar opérationnel quotidien
Sur le terrain, la réalité de la 4ème gamme est sans appel. « J'ai géré la 4ème gamme pendant 4 ans, c'est une plaie », confie un ancien chef de rayon. « Les ventes fluctuent toute l'année, il y a pléthore de références, les promos événementielles... Avec de la prudence et l'habitude, j'arrivais à sortir entre 6 et 10% de casse en moyenne selon la saison. » Une performance déjà remarquable mais qui n'a pas suffi : face à la pression constante, ce responsable a fini par quitter la grande distribution.
Le témoignage n'est pas isolé. « Chez nous, c'est un fléau », déplore un employé de rayon. « On les jette par carton parce que ça ne passe plus en rayon, ça repart en réserve, puis on oublie de repasser le stock. Quand on ouvre la chambre froide, les dates sont dépassées. Résultat : 4 colis jetés à la poubelle cette semaine », raconte ici un chef de rayon.
La difficulté majeure ? Les dates de péremption ultra-courtes combinées à un assortiment pléthorique. « Les dates sont tellement courtes que même en réduisant l'assortiment, c'est compliqué », explique une responsable rayon. « Le week-end, nous faisons une repasse l'après-midi comme le matin, on ne charge qu'avec une seule date dans la mesure du possible. »
Rupture ou casse : choisir son camp
Face à cette équation impossible, les professionnels ont développé une stratégie radicale : jouer la rupture. « Viser la rupture, pas trop charger et surtout pas trop de DLC différentes, sinon les clients prennent toujours la plus longue », résume un chef de rayon expérimenté.
Cette approche fait consensus : « Commander à la rupture en surveillant ses stocks », « flux très, très tendu », « réduire les stocks au maximum »... Les témoignages convergent tous vers la même solution : mieux vaut un linéaire clairsemé que des cartons entiers à la poubelle.
Certains responsables ont même réussi à maîtriser la bête. « Je passe la 4ème gamme tous les matins et fais la commande en suivant. Je commande en fonction des dates sur les sachets car le client cherche toujours la date la plus longue. Mon chiffre d'affaires est en constante progression et la casse est nickel », témoigne fièrement un manager. Sa recette ? « Les 3/4 de mon rayon, c'est de la MDD en facing et j'ai une nationale sur chaque référence. »
Le casse-tête de l'assortiment
L'excès de références revient comme une obsession dans les témoignages reçus de la part de professionnel du rayon fruits et légumes. « Faudrait que le national réduise le nombre de références et demander aux industriels de réduire les conditionnements », plaide une employée, rejointe par plusieurs collègues.