Deux destins opposés dans la grande distribution.
Tandis qu'Auchan réduit la taille de certains magasins, en vend d'autres et prévoit 2400 suppressions d'emplois (son plan social a néanmoins été invalidé par la justice), Lidl rachète 19 magasins de son concurrent, multiplie les campagnes de communication et annonce de nouvelles ouvertures.
Deux enseignes. Deux trajectoires diamétralement opposées.
La grande distribution française traverse une crise profonde. Son modèle historique, celui des hypermarchés et supermarchés traditionnels, se heurte à la concurrence d'Internet, du drive, du hard-discount et des magasins de proximité. Dans ce contexte, Lidl pourrait sembler épargné. Pourtant, l'enseigne allemande sort tout juste d'une période noire qui a failli lui coûter son identité.
Le prix d'une identité diluée
Entre 2022 et 2025, Lidl a perdu près de 400 000 clients. Son chiffre d'affaires a reculé de 1% en 2024, pour une perte nette de 9 millions d'euros après 72 millions l'année précédente. Pour la première fois depuis des années, l'enseigne n'a versé aucune participation à ses salariés.
Paradoxalement, la période d'hyperinflation n'a pas profité au champion historique des prix bas. Les consommateurs français, sous pression budgétaire maximale, se sont massivement tournés vers les premiers prix des concurrents, notamment chez E.Leclerc. Le problème n'était pas tant le positionnement réel de Lidl que son image perçue : l'enseigne avait perdu sa réputation de moins cher du marché.
Une montée en gamme mal calibrée
Sous l'impulsion de Michel Biero, figure emblématique de l'enseigne pendant plus de vingt ans, Lidl avait opéré une transformation profonde. Introduction de marques nationales dans un modèle historiquement basé sur les marques propres, création d'une gamme bio, engagement pour une meilleure rémunération des agriculteurs, diversification vers le non-alimentaire.
Des choix louables qui ont modernisé l'image de marque et développé l'offre jusqu'à 2800 références. Mais cette stratégie comportait un vice caché : elle a dilué ce qui faisait la force de Lidl aux yeux des consommateurs. L'écart de prix avec les concurrents n'était plus assez marqué. Le message n'était plus clair.
Le non-alimentaire, notamment, est devenu un boulet. L'enseigne s'est retrouvée avec 1,5 milliard d'euros de stocks, occasionnant des dizaines de millions d'euros de coûts logistiques supplémentaires par an. La part du non-alimentaire dans le chiffre d'affaires est passée au-dessus de 10% avant de s'effondrer en dessous lors de la crise.
Le virage du réalisme : une équipe, une stratégie
En janvier 2024, Michel Biero quitte le groupe. Il est remplacé par John Paul Scally, un Irlandais de 43 ans au profil radicalement différent. Ingénieur de formation, John Paul Scally avait passé neuf ans à la tête de Lidl Irlande, faisant passer l'enseigne de 7% à 14% de parts de marché avec 225 magasins.
Posé, pragmatique, Scally joue le collectif là où son prédécesseur incarnait seul l'image et la stratégie. Il réunit chaque lundi son comité exécutif et crée même un nouveau poste de directeur de la relation clients. Son diagnostic est sans appel : Lidl doit remettre les besoins du client au centre de sa stratégie.
Un plan de reconquête en trois axes
La stratégie de redressement repose sur une équation simple : trouver des économies pour réinvestir massivement dans les prix.
Premier axe : la réduction drastique des coûts. En dix-huit mois, Lidl a liquidé ses stocks de non-alimentaire, passant de 1,5 milliard à 400 millions d'euros, générant 20 millions d'économies logistiques annuelles. L'enseigne a fermé des entrepôts externes en location et réduit son budget communication de plus de 10 millions d'euros. Au total, 102 millions d'euros ont été dégagés depuis le début de l'année 2025.
Deuxième axe : le repositionnement prix agressif. Ces 102 millions ont été intégralement réinvestis dans les baisses de prix. En février 2025, Lidl lance "Les P'tits Prix Oui" sur 300 produits positionnés au plus bas du marché. En septembre, la campagne "prix sacrés" instaure une baisse hebdomadaire sur un produit de première nécessité, à commencer par la baguette passée de 35 à 29 centimes.
L'enseigne se dote d'un outil de suivi quotidien des prix concurrents et peut désormais affirmer être 10,8% moins chère que les marques distributeurs de ses rivaux, et 4% moins chère sur les grandes marques. Un prix unique dans les 1 624 magasins, de Brest à Saint-Tropez, pour garantir la transparence.
Troisième axe : l'expansion territoriale accélérée. Lidl investit 575 millions d'euros en 2025 avec 50 ouvertures prévues, dont 20 créations pures. L'enseigne rachète 19 magasins Auchan et vise les grandes villes françaises où elle reste sous-représentée. Objectif : 2000 magasins contre 1624 aujourd'hui, dépassant enfin le niveau de 2011.