« Il faut que ça se voie en rayon » : Pourquoi la communication food est avant tout un sujet business

Entre créativité, contraintes terrain et obsession du ROI, le métier d’agence food révèle une réalité bien plus pragmatique que l’image souvent idéalisée de la communication.
« Il faut que ça se voie en rayon » : Pourquoi la communication food est avant tout un sujet business

Les agences de communication font partie de ces univers que l’on croit connaître, sans toujours en comprendre la réalité quotidienne. Derrière les campagnes, les packagings ou les activations en magasin, il existe un métier beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît : un métier fait de compromis permanents entre créativité, contraintes business et exigences opérationnelles.

À travers le regard d’un dirigeant d’agence spécialisée dans la food et la grande consommation, se dessine un portrait sans filtre de la communication food aujourd’hui. Non pas pour promouvoir une structure, mais pour comprendre ce que signifie, concrètement, travailler pour des marques alimentaires dans un environnement aussi contraint que la grande distribution. Sujet inédit sur notre podcast.

Créativité sous contraintes : le paradoxe permanent

La communication alimentaire n’est jamais un exercice libre. Elle s’inscrit dans un cadre extrêmement normé : contraintes industrielles, logistiques, commerciales, réglementaires, sans oublier celles du point de vente. Dans cet univers, une idée n’a de valeur que si elle fonctionne dans la réalité du terrain.

La création n’est donc pas une fin en soi. Elle est au service d’un objectif clair : exister en magasin et soutenir les ventes. À la fin, ce qui compte, c’est la capacité d’un dispositif à être vu, compris et déployé. Autrement dit, se voir en rayon et générer du sell-out.

C’est là que se joue un paradoxe permanent. Les marques attendent des agences qu’elles soient créatives, différenciantes, capables d’émerger dans un univers saturé… mais sans jamais prendre de risques excessifs. Être innovant, mais pas trop. Audacieux, mais compatible avec les contraintes de la GMS. Différent, tout en respectant des codes très installés.

Ce jeu d’équilibriste est d’autant plus complexe que la communication en grande consommation concerne des univers très variés : frais, sec, DPH, circuits spécialisés ou indépendants. Chaque rayon possède ses propres règles implicites, ses usages et ses limites.

Le brief : point de départ… et zone de friction

Dans l’imaginaire collectif, le brief est censé cadrer le projet. Dans la réalité, il est souvent imparfait. Parfois trop directif, parfois beaucoup trop flou. Il arrive qu’un client laisse volontairement le champ libre, avant de réaliser, au moment des premières propositions, que certaines idées étaient déjà figées.

Les demandes deviennent alors paradoxales, presque incantatoires. On attend de l’agence qu’elle propose, tout en respectant des préférences non formulées. Ces situations ne sont pas exceptionnelles : elles reflètent des organisations elles-mêmes sous pression.

Car côté marques, les équipes marketing sont souvent réduites, les arbitrages budgétaires permanents et les délais raccourcis. Les attentes ne sont pas toujours claires, parfois parce qu’elles ne peuvent pas l’être à ce stade. C’est là que la relation agence annonceur devient centrale.

La communication repose sur une co-construction. Une agence apporte de la méthode, de la structuration, une capacité à formaliser et à exécuter. Mais elle ne peut pas remplacer la connaissance intime du marché, des enjeux internes ou des contraintes commerciales propres à chaque entreprise.

Inversement, les agences doivent intégrer la réalité de leurs clients : un projet n’est jamais isolé, il cohabite avec des dizaines d’autres priorités. Ce décalage de perception est une source classique de tensions… mais aussi un point clé à comprendre pour travailler efficacement ensemble.

Marques sous tension, pragmatisme recherché

Un constat revient régulièrement : les marques alimentaires sont aujourd’hui sous tension. Les équipes marketing sont plus petites, les budgets plus contraints, les délais plus courts. Tout est urgent, tout est prioritaire, tout doit aller vite.

Dans ce contexte, les attentes vis-à-vis des agences évoluent. La créativité reste importante, mais elle ne suffit plus. Ce qui est recherché avant tout, c’est une expertise opérationnelle : comprendre les contraintes du retail, anticiper ce qui sera accepté ou non en point de vente, proposer des solutions réalistes et déployables.

La notion de ROI en communication est omniprésente, même lorsqu’elle n’est pas exprimée explicitement. Chaque action est jugée à l’aune de son efficacité potentielle : visibilité en rayon, compréhension immédiate, capacité à soutenir les ventes. La communication devient un outil parmi d’autres au service du business.

Dans cette équation déjà complexe, l’intelligence artificielle en communication s’est imposée très rapidement. Elle permet d’explorer des pistes, d’accélérer certaines phases, de produire des intentions. Mais elle ne résout pas la complexité du métier.

Générer une image n’est pas produire un packaging alimentaire commercialisable. Un visuel destiné à être imprimé, décliné et intégré dans une chaîne graphique industrielle exige un niveau de maîtrise élevé. L’IA modifie les méthodes, mais ne supprime ni le temps humain ni le besoin d’expertise.

Elle crée même de nouveaux savoir-faire, comme la capacité à bien formuler des prompts, à cadrer les outils, à corriger et à affiner. Des compétences qui s’ajoutent au métier, sans en effacer les fondamentaux.

Revenir aux bases pour mieux collaborer

Face à cette complexité croissante, un conseil revient comme un fil conducteur : revenir aux fondamentaux. Prendre le temps de travailler le brief. Clarifier les objectifs avant de parler d’outils. Être transparent sur les contraintes, les délais et les validations internes.

Dire « je veux être visible en fond de rayon » n’est pas la même chose que dire « je veux une PLV ». Dans le premier cas, on ouvre le champ des possibles. Dans le second, on enferme trop tôt la réflexion.

Dans un univers saturé de messages, de technologies et de canaux, cette approche presque simple apparaît comme un levier puissant. Elle ne garantit pas le succès, mais elle évite de nombreuses incompréhensions.