Entre rêve d'indépendance et réalité opérationnelle, le parcours pour devenir franchisé dans la grande distribution ressemble à un marathon. Après avoir suivi Harold Brun et David Écomard pendant des mois, on a transformé leurs témoignages en guide pratique pour tous ceux qui nourrissent ce projet.
Entreprendre dans un commerce en mutation
Harold Brun et David Ecomard ont tout quitté pour devenir entrepreneurs. À 42 et 40 ans, ces anciens directeurs commerciaux ont franchi le pas : passer du salariat confortable à la réalité exigeante de chef d'entreprise adhérent dans la grande distribution coopérative.
Ce magazine « build in public » documente leur transformation en temps réel, sans filtre. Harold a repris un Super U de 1200 m² en Bourgogne en 2023. David vient d'entamer sa formation intensive chez les Mousquetaires en 2025. Deux parcours parallèles, deux enseignes différentes, une même aventure radicale.
Quand l'envie devient projet
« Ça a toujours été un élément qui était dans mon ADN. » Cette phrase d'Harold Brun résume parfaitement la nature de la motivation nécessaire pour se lancer dans l'entrepreneuriat en grande distribution. Pas un simple caprice professionnel, mais une conviction profonde qui vous portera pendant les quinze années de préparation qu'il lui a fallu pour concrétiser son rêve.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'un parcours long, exigeant, qui teste autant votre détermination que vos compétences. David Écomard l'a lui aussi expérimenté. Son premier projet de restaurant de burgers premium en 2014 n'a jamais vu le jour, faute d'apports suffisants. Mais cette première déception a nourri sa réflexion pendant dix ans, jusqu'à ce qu'une opportunité se présente enfin en 2024.
Les bonnes et les mauvaises raisons d'entreprendre
Avant de vous lancer, interrogez-vous sincèrement sur vos motivations. Les bonnes raisons transcendent l'attrait superficiel de l'indépendance. Elles puisent dans une passion authentique du commerce, une attirance pour la responsabilité et l'envie de construire quelque chose de durable sur votre territoire.
À l'inverse, fuir une situation professionnelle difficile, croire naïvement que diriger son entreprise sera plus facile qu'être salarié, ou rechercher uniquement l'enrichissement rapide constituent des fondations fragiles. L'entrepreneuriat dans la grande distribution n'est pas une échappatoire mais un engagement total.
La réalité financière : bien au-delà des apparences
Parlons chiffres, car c'est souvent le premier obstacle. David Écomard détaille avec une transparence rare les ordres de grandeur chez Intermarché : « En termes d'apports, ce qui est demandé c'est 150 000 euros pour un Netto pour commencer, 250 000 euros pour un Intermarché express, et plutôt 500 000 euros pour un Intermarché super. »
Mais attention, ces montants ne constituent que la partie visible de l'iceberg. David précise : « La réalité, c'est que pour avoir un point de vente qui soit performant, qui soit au dernier concept, tu prends ces chiffres, tu les multiplies à peu près par deux et c'est plutôt l'apport que tu dois avoir pour être confortable. »
Concrètement, pour un Intermarché super performant, il faut donc prévoir un million d'euros d'apport personnel. À ces montants s'ajoutent la capacité d'emprunt selon vos revenus et patrimoine, le coussin de sécurité pour vivre pendant la transition, et les frais annexes souvent sous-estimés.
Le facteur temps, grand oublié des projections
David insiste sur une dimension cruciale : « Si vous n'avez pas deux ans devant vous, ça va être compliqué. » Cette temporalité s'explique par la durée cumulée de la sélection (trois à six mois), de la formation (six mois), de la recherche de magasin (six mois à un an) et de la finalisation du financement.
Peu de candidats anticipent cette longueur, source fréquente d'abandon ou de difficultés financières. Qui, dans sa vie active, peut se permettre deux ans sans revenus garantis ? Cette question explique en partie la sociologie des candidats : cadres en fin de carrière bénéficiant d'un plan de départ, héritiers disposant d'un patrimoine familial, ou salariés ayant constitué une épargne substantielle.
Choisir son enseigne : bien au-delà des conditions financières
Le choix de l'enseigne détermine votre environnement professionnel pour les quinze à vingt prochaines années. Cette décision stratégique dépasse largement la comparaison des conditions financières pour englober l'adéquation entre vos valeurs, votre personnalité et l'écosystème entrepreneurial que vous rejoindrez.
Des philosophies d'entreprise bien distinctes
Chaque enseigne développe sa propre vision de l'indépendance commerciale. Harold découvre la philosophie coopérative chez Système U avec une certaine révélation : « L'objectif, c'est que c'est une coopérative. C'est-à-dire que l'ensemble des associés se doit, quand on intègre la coopérative, de s'investir pour continuer le développement et le fonctionnement de celle-ci. »
Cette dimension coopérative transforme la relation à l'entreprise. L'associé ne se contente pas d'exploiter son magasin : il participe aux décisions stratégiques, s'engage dans des missions pour le groupement et partage la répartition des résultats entre membres.
Chez Intermarché, David s'imprègne d'une culture différente mais tout aussi structurante, résumée par cette maxime de Jean-Pierre Lecrocq : « Il faut être avant d'avoir. » Cette phrase concentre une philosophie exigeante qui privilégie les valeurs, le travail et l'engagement personnel avant la réussite matérielle.
L'accueil révélateur
La manière dont une enseigne accueille ses futurs entrepreneurs révèle souvent sa véritable culture. Harold garde un souvenir marquant de son premier contact chez Système U : « Je me suis retrouvé dans un magasin où finalement je n'ai pas parlé dans mon entretien. Le dirigeant m'a présenté son enseigne et clairement m'a donné envie de travailler dans cette enseigne. »
Cette inversion des rôles, où le dirigeant présente son entreprise plutôt que de questionner le candidat, traduit une approche bienveillante et confiante. L'enseigne mise sur la séduction et la conviction plutôt que sur la sélection pure.
David découvre un esprit similaire chez Intermarché : « Ce qui est génial c'est qu'à chaque fois il se passe la même chose, c'est-à-dire que le chef d'entreprise prend du temps, s'intéresse à vous parce qu'il a été à votre place. » Cette empathie née de l'expérience commune crée un climat propice aux échanges et aux apprentissages mutuels.
Le parcours de sélection : entre exigence et bienveillance
Une fois votre enseigne choisie, commence le parcours postulant : un processus de sélection rigoureux qui transformera votre envie d'entreprendre en compétences opérationnelles.
Le processus Intermarché : l'école de l'exigence
David détaille les quatre étapes avec la précision de celui qui les traverse. Le filtrage téléphonique initial teste la cohérence du projet. Cette première sélection, apparemment simple, élimine pourtant de nombreux candidats dont le projet manque de maturité ou de réalisme financier.
L'entretien parisien marque une élévation du niveau d'exigence. David souligne une spécificité remarquable : « Vous ne rencontrez que des adhérents pendant tout votre parcours. » Cette philosophie du « jugement par les pairs » garantit l'adéquation culturelle tout en évitant le biais des recruteurs professionnels.
La journée d'information révèle une approche remarquablement transparente des difficultés. David témoigne : « Toute la journée on vous bastonne, vous et votre conjoint, de beaucoup d'infos en disant voilà, ça c'est l'enjeu, caution personnelle, c'est quoi le quotidien demain ? » Cette « séance de bastonnage » vise à décourager les candidats insuffisamment préparés plutôt qu'à séduire à tout prix.
L'implication systématique du conjoint traduit une vision mature de l'entrepreneuriat familial. David précise : « Que vous soyez dans un parcours solo ou couple, quoi qu'il arrive, le conjoint est invité pour comprendre que concrètement, si ça va au tapis, c'est les finances de la famille qui vont au tapis. »
Le parcours Système U : l'apprentissage progressif
Harold décrit une approche différente, privilégiant la formation longue à la sélection intensive : « Ce parcours postulant dure un an. » Cette temporalité étendue permet une maturation progressive des compétences et une validation mutuelle approfondie.
Harold détaille les trois volets de cette formation : « Tu as le volet commerce, tu as le volet gestion et tu as le volet humain. » Cette approche méthodique couvre l'ensemble des dimensions du métier de dirigeant.
Le volet gestion mérite une attention particulière car il marque souvent la découverte des responsabilités entrepreneuriales : « On apprend à analyser des bilans, à maîtriser différents éléments de gestion, comment tu pilotes ton entreprise. » Cette formation révèle fréquemment aux candidats l'ampleur de leurs futures responsabilités.
La formation : une métamorphose profonde
La formation postulant dépasse la simple transmission de savoir-faire pour orchestrer une véritable métamorphose. Elle transforme des managers expérimentés en entrepreneurs débutants, des salariés protégés en dirigeants exposés.
La transformation mentale
Harold décrit cette mutation avec lucidité : « Le gap le plus difficile, il est là, parce qu'entre être directeur et être dirigeant, c'est deux métiers différents. C'est deux métiers différents que j'apprends encore tous les jours. »
La différence fondamentale réside dans la propriété du risque. Harold l'exprime avec franchise : « On pense savoir ce que c'est... On doit savoir que ce n'est pas notre argent. À partir du moment où c'est le sien, on fait quand même vachement gaffe. » Cette prise de conscience transforme radicalement l'approche des décisions quotidiennes.
La solitude décisionnelle constitue peut-être l'aspect le plus déroutant. Harold témoigne : « Tu es seul face à tes décisions, c'est une certitude... Il n'y a qu'une personne qui appuie sur le bouton de l'investissement, c'est moi. » Cette responsabilité finale, inconnue du salarié le plus expérimenté, nécessite un ajustement psychologique majeur.
L'apprentissage pratique par l'immersion
Les stages constituent l'aspect le plus formateur mais aussi le plus déstabilisant. David témoigne : « Je vais être dans des Netto urbains, des Netto ruraux, des Intermarché contacts. C'est des magasins très différents avec des adhérents qui ont des histoires très différentes. »
Cette diversité volontaire évite l'enfermement dans un modèle unique. David développe sa méthode : « Au début, j'avais des notes par stage différent. J'ai dit ce n'est pas possible, créé-toi une note par sujet. À chaque fois, j'ai ce que j'apprends par sujet. » Cette systématisation permet de capitaliser sur chaque expérience.
La confrontation avec la diversité des pratiques révèle l'absence de vérité absolue. David l'expérimente concrètement : « Sur les cinq stages, j'ai cinq façons différentes de dérouler les routines du matin. » Cette découverte, d'abord déstabilisante, devient progressivement libératrice en révélant la richesse des approches possibles.
Trouver et négocier son point de vente
La recherche du magasin idéal constitue souvent l'étape la plus longue et la plus frustrante du parcours. Harold témoigne avoir parcouru « 30 000 kilomètres en deux ans pour visiter des magasins ».
Comprendre l'écosystème de la vente
L'acquisition d'un point de vente met en scène plusieurs acteurs aux intérêts parfois divergents. Harold décrit le processus chez Système U : « Il y a le bouche à oreille de la connaissance de mon associé précédent qui me dit qu'il y a peut-être ce magasin là. Je me présente, je vais voir et puis on voit si ça peut fonctionner ou pas. »
Chez Intermarché, David explique un système plus structuré : « Il y a toujours des commissions d'attribution pour chaque point de vente. Le groupement émet une valeur pour chaque magasin. Après, des adhérents peuvent candidater pour reprendre ce point de vente. »
L'art de la négociation
La négociation transcende la simple discussion sur le prix. Harold insiste sur cet aspect : « En fonction du projet, quand on discute, le prix c'est une chose, est-ce que déjà on sent le projet ? Après, c'est des réponses si tu ne sens pas. »
Au-delà des aspects financiers, le cédant recherche généralement quelqu'un de compétent pour assurer la transmission, préserver l'emploi de ses équipes, maintenir la réputation de son magasin et assurer la continuité commerciale.
Harold témoigne de cette recherche de solutions créatives : « On est toujours en mesure de trouver des solutions. En termes de financement, il y a une partie apport personnel. » Cette ouverture d'esprit distingue souvent les négociateurs expérimentés de ceux qui restent figés sur leurs positions initiales.
Le premier jour : quand la théorie rencontre la réalité
Le jour J est arrivé. Après des mois ou des années de préparation, vous tenez enfin les clés de votre magasin. Harold témoigne de ce moment unique : « Je pense que ça dure à peu près cinq minutes. On prend les clés et après, il y a le projet qui est celui de maintenant qu'on y est, réussir. »
L'euphorie et la chute
Puis vient la confrontation avec la réalité. Harold décrit cette transition brutale : « J'ai réfléchi pendant des mois, quels seraient mes premières actions ? Et au final, quand on arrive et qu'on passe le pas de la porte, c'est clairement une page blanche. Entre ce qu'on a imaginé et la réalité, c'est complètement différent. »
Harold partage son questionnement initial : « On arrive déjà tôt, le jour où on a repris, et puis on commence à faire le tour du magasin et on se dit, est-ce que tu te sens bien dans ce magasin ? La réponse était non. » Cette introspection brutale mais nécessaire détermine souvent les premières orientations stratégiques.
La rencontre avec les équipes
Cette première interaction conditionne largement l'avenir de votre relation managériale. Harold évoque ses inquiétudes : « J'ai douté du fait de réussir à faire adhérer les gens. Il y a toujours cette incertitude de, les gens sont là depuis longtemps, je vais peut-être leur changer un peu leur fonctionnement de travail. Est-ce qu'ils vont adhérer ou pas ? »
Harold partage sa philosophie relationnelle : « Dans une première relation, quand on se découvre, on apprend tous à se connaître. On est tous à mon avis un peu en recul les uns avec les autres. On écoute. » Cette sagesse de l'écoute active et bienveillante constitue la base d'une relation managériale saine.
Les premières décisions symboliques
Harold partage ses premiers gestes : « Je me rappellerai toujours, j'avais un plumeau. Il y a même temps que je disais bonjour aux gens, je faisais la poussière. Il y avait un petit peu de poussière dans les allées. » Cette anecdote illustre parfaitement l'importance de commencer par des actions simples mais symboliques qui marquent votre arrivée tout en respectant l'existant.
Il explique ensuite sa stratégie initiale : « Je m'étais fixé un objectif qui était de changer le magasin tout de suite, par contre pas forcément toucher aux organisations humaines. » Cette approche pragmatique permet de marquer sa différence sans bouleverser l'équilibre social existant.
Manager sans être directeur : la grande mutation
La transition de directeur salarié à dirigeant propriétaire constitue l'un des défis les plus complexes de l'entrepreneuriat. Ce changement ne se limite pas à une évolution de statut : il transforme fondamentalement votre rapport au pouvoir, à la responsabilité et au management.
De l'opérationnel au stratégique
Harold décrit cette mutation : « Quand tu es directeur de magasin, tu as une vision à un mois, deux mois, six mois. Sur la vision de l'associé, dans ton environnement, comment tu te positionnes ? » Cette élévation du regard nécessite de nouveaux réflexes : penser l'impact à long terme des décisions, considérer l'environnement concurrentiel global, intégrer les enjeux sociétaux et réglementaires.
David, encore en formation, comprend déjà cet enjeu : « Tu dois te mettre dans ses chaussures, savoir s'effacer derrière lui, parce que c'est lui le patron, ce n'est pas toi, et puis absorber le maximum d'infos. » Cette capacité à apprendre de tous, y compris de ses futurs collaborateurs, détermine souvent la qualité de l'intégration.
Déléguer efficacement
Harold témoigne de cette évolution cruciale : « Au départ, j'étais avec eux, j'avais expliqué quels étaient mes critères. Aujourd'hui, je ne m'en mêle plus. Et ça, pour moi, c'est une vraie réussite. »
Le processus de délégation réussie passe par plusieurs étapes : formation initiale où l'on explique les standards et critères, accompagnement pour faire ensemble les premières fois, supervision où l'on contrôle les résultats sans intervenir sur les méthodes, et enfin autonomie complète de l'équipe.
Développer son activité : les leviers de croissance
Une fois les fondations posées et l'organisation stabilisée, l'entrepreneur doit penser développement. Harold dresse un état des lieux précis de sa situation concurrentielle : « J'ai la chance d'être dans une zone où le client a le choix, où j'ai des concurrents qui font aussi bien leur boulot. Donc à un moment donné, à nous de nous démarquer par autre chose. »
Analyser et benchmarker
L'analyse comparative permet d'identifier son potentiel de croissance. Harold explique sa méthode : « Le potentiel que je vois c'est le chiffre que font mes concurrents. Je me dis qu'il y a encore à en récupérer, même si le sujet pour moi, ce n'est pas forcément d'aller en récupérer chez eux. »
Harold partage ses résultats après rénovation : « On a refait toute la partie sec, allée centrale. Et là tout de suite, ça a pris. Sur les rayons métiers, c'est pareil, ça a porté ses fruits tout de suite. Je suis à plus de 10% de passage caisse, sur le poisson je suis à plus de 25%, en boucherie à plus de 30%. »
La différenciation par les rayons métiers
Harold mise sur cette stratégie : « On cesse de se différencier sur la qualité de produits frais. On parle souvent des prix sur les produits de marque nationale mais au final ça c'est facile de le comparer. Par contre aller comparer du produit frais c'est beaucoup plus compliqué. »
Développer la proximité client
Harold développe une approche unique : « En septembre, je vais accueillir mes clients pour leur offrir un café. Pour qu'ils apprennent aussi à me connaître parce que j'ai eu des retours de c'est bien le magasin a changé par contre on connaît pas beaucoup votre nouveau patron. »
Cette initiative illustre parfaitement l'esprit de proximité qu'il veut développer, un avantage concurrentiel majeur face aux grandes surfaces impersonnelles.
Préserver sa santé d'entrepreneur
L'entrepreneuriat dans la grande distribution exige un investissement personnel intense qui peut rapidement épuiser les ressources physiques et mentales. Harold insiste sur ce point crucial : « L'équilibre est hyper important. L'équilibre est indispensable. »
La pression financière permanente
Harold témoigne : « Il y a une nécessité, une pression qu'on a sur la tête de devoir faire le taf parce qu'on sait que quand vous rachetez le magasin et que le résultat ne suffit pas pour rembourser ce que vous avez dû devoir. » Cette pression financière, absente du salariat, nécessite un temps d'adaptation et de nouveaux réflexes.
L'équilibre familial
Harold évoque cette difficulté : « Le plus dur pour moi a été de faire la part des choses entre l'objectif pro et d'associer le côté perso. Parce que j'ai aussi une femme qui n'est pas dans la grande distribution, qui a dû s'y adapter. »
David évoque également cette dimension lors de sa formation : « Six mois de formation où tu pars loin de chez toi du lundi au vendredi voire du lundi au dimanche. La réalité c'est que c'est dur et on vit tous des situations pas simples avec nos conjoints, ou nos enfants. »
Harold développe sa stratégie : « À la maison, on en parle un peu du magasin... Non, une vraie volonté de dissocier. » Cette coupure nécessaire entre vie professionnelle et personnelle demande un apprentissage et une discipline personnelle.
Harold résume parfaitement cet enjeu : « Je me suis toujours dit que je voulais réussir mon projet pro et la réussite de ce projet pro allait avec la continuité de ma vie perso. Parce que me retrouver aujourd'hui tout seul dans mon magasin, c'était clairement pas l'objectif. »
Vision long terme : construire pour durer
L'entrepreneuriat ne se conçoit pas dans l'urgence du quotidien mais dans la durée. Harold témoigne de cette nécessaire projection : « On s'écrit qu'on est dans nos magasins 10, 15, 20 ans. Et c'est pour ça qu'il faut l'aimer, il faut bien le travailler pour ne le subir. »
Anticiper les évolutions du secteur
David observe depuis sa formation : « Aujourd'hui, on voit que les grands enjeux, c'est de tenir le discount, d'être toujours sur cet axe prix bas, la proximité, le local, l'ancrage, ça, c'est inévitable. »
Les tendances structurelles à anticiper incluent la digitalisation croissante des parcours clients, la montée en puissance de l'écologie et du durable, l'évolution des modes de consommation, la transformation des métiers et des compétences, et les réglementations environnementales renforcées.
Préparer sa succession dès le début
Harold envisage déjà cette dimension : « C'est en tout cas aujourd'hui pour moi une évidence. Je suis déjà en réflexion d'intégrer quelqu'un qui aurait potentiellement un peu le même profil que moi, qui a envie de découvrir comme j'ai découvert. »
Cette approche de transmission précoce structure différemment la gestion : formation d'équipes autonomes, documentation des processus, développement des talents internes, construction d'une culture d'entreprise forte.
Devenir un acteur territorial
Harold découvre cette dimension enrichissante : « C'est là où tu sens que l'adhérent s'éclate. Passer d'une mission de développement à aller voir le préfet, le maire, le conseiller régional. » Cette implication territoriale crée une légitimité qui dépasse le simple commerce.
L'entrepreneur devient un maillon essentiel de l'écosystème territorial : formation des jeunes du territoire, partenariats avec les producteurs locaux, soutien aux associations locales, participation aux événements communautaires.
Les leçons de l'expérience
Harold résume sa philosophie avec sagesse : « Au final, même si ça n'a pas été facile, le principal, c'est d'arriver au bout de ce qu'on veut. » Et il ajoute : « Il faut rien changer et puis il faut surtout aller de l'avant et se dire que au final même les échecs ou les difficultés qu'on a pu rencontrer nous forment. »
David partage cette vision de la persévérance : « Il faut tenir. C'est ce que disent tous les adhérents. C'est-à-dire que la formation, avoir l'agrément, il faut être prêt, avoir du temps et un peu de moyens. Mais derrière, c'est une course de fond, il faut réussir dans la durée et c'est ça qui fera la différence. »
Les apprentissages clés de ces entrepreneurs sont nombreux : la patience comme vertu cardinale, l'adaptabilité plus importante que la planification parfaite, l'humilité face à la complexité, la persévérance dans l'adversité, et surtout l'importance des relations humaines.
En conclusion, devenir entrepreneur en grande distribution n'est pas une aventure qui s'improvise. C'est un parcours exigeant qui nécessite une préparation financière solide (comptez deux ans de revenus d'avance et des apports conséquents), une motivation profonde capable de résister aux obstacles, un soutien familial indéfectible, et une capacité d'apprentissage et d'adaptation permanente.
Mais pour ceux qui persévèrent, comme Harold qui a concrétisé son rêve et David qui est en pleine formation, c'est aussi une aventure profondément enrichissante qui permet de construire quelque chose de durable, d'avoir un impact positif sur son territoire, et de réaliser un rêve longtemps caressé. Comme le dit si bien Harold : « Aujourd'hui j'ai cette vision parce que je suis aussi passé à autre chose et j'ai atteint l'objectif que je me suis fixé. »
L'entrepreneuriat récompense ceux qui se préparent avec méthode et lucidité, tout en gardant à l'esprit que, comme le rappelle David, « c'est une course de fond, pas un sprint ».