Le 25 novembre 2025, Guillaume Darrasse a adressé une lettre aux 11 000 salariés des supermarchés Auchan pour leur annoncer un tournant historique : la bascule de 294 supermarchés sous enseignes Intermarché et Netto d'ici fin 2026. Un document qui révèle autant la stratégie du groupe que l'ampleur des défis à relever.
Un message qui cherche à rassurer face à l'incompréhension
« Je sais que vous vous posez beaucoup de questions et que cela génère de l'émotion voire de l'inquiétude chez certains et c'est légitime à ce stade du projet. »
Cette phrase d'ouverture est révélatrice. Guillaume Darrasse, PDG d'Auchan Retail France, anticipe le choc provoqué par cette annonce sans précédent dans la grande distribution française. Pour la première fois, un acteur majeur renonce à son enseigne sur un format entier pour se placer sous franchise d'un concurrent direct.
La réaction des représentants syndicaux a d'ailleurs confirmé cette onde de choc. René Carette, délégué syndical central CFDT, parle d'un « coup de massue » pour des salariés qui, un an plus tôt, apprenaient déjà un plan social de 2 400 suppressions de postes.
Le pragmatisme comme ligne de défense
Le ton de la lettre est volontairement pragmatique, presque clinique. Darrasse pose d'emblée les deux garanties fondamentales : « nous ne vendons pas nos supermarchés et nous n'abandonnons pas les collaborateurs qui resteraient salariés d'Auchan. »
Cette précision juridique n'est pas anodine. Auchan Retail conservera la propriété des fonds de commerce et de l'immobilier, créant une « entité juridique autonome » pour exploiter ces magasins en franchise. Sur le papier, les salariés restent employés d'Auchan, même si leurs magasins arborent les couleurs d'Intermarché ou de Netto.
Mais cette subtilité juridique masque une réalité plus complexe : ces collaborateurs travailleront désormais selon les méthodes, la politique commerciale et les process d'Intermarché. Un changement culturel profond pour des équipes habituées à l'univers Auchan.
L'aveu d'une incapacité à concurrencer seul
Au-delà du discours rassurant, la lettre contient plusieurs aveux révélateurs de la situation d'Auchan sur le format supermarché.
« Ce partenariat est un véritable tournant dans notre histoire. Il nous bouscule dans nos raisonnements et dans nos pratiques historiques. »
Cette formulation euphémisée traduit une réalité plus dure : Auchan a échoué à faire vivre son modèle de supermarchés face à la concurrence. Le passage d'une « entreprise intégrée multi-formats mono enseigne » à une « entreprise multi-formats multi enseignes » n'est pas un choix stratégique audacieux, c'est une nécessité de survie.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Darrasse promet une baisse immédiate des prix d'environ 6%, rendue possible par les conditions d'achat d'Intermarché et ses process opérationnels « bien plus adaptés pour ces formats de magasins, et plus agiles au quotidien. »
Traduction : Auchan a perdu la bataille de la compétitivité sur le format supermarché.
Le pari de la franchise pour sauver l'essentiel
La lettre présente ce projet comme « clairement offensif » pour les supermarchés, qui gagneraient « en agilité, en simplicité, et en moyens. » L'argument central : bénéficier du savoir-faire d'Intermarché, « leader incontestable sur le format supermarché ».
Thierry Cotillard, président des Mousquetaires, l'a confirmé sans détour : « Auchan va bénéficier de notre savoir-faire, et cela va nous permettre d'étendre notre emprise sur le marché français. »
Pour Auchan, ce partenariat permettrait de « réaliser en un temps très court ce que nous aurions tenté de faire sur de nombreuses années, avec des chances de succès bien moindres : retrouver la compétitivité, l'efficacité, des magasins modernes et attractifs, la rentabilité et la pérennité de notre réseau de supermarchés. »
Un constat d'échec déguisé en opportunité stratégique.