« Pour nous, la fin du prospectus papier est déjà une réalité depuis 2023. Comme pour toute habitude qu'on change, ça a forcément bousculé un peu les choses. » Ce témoignage d'un dirigeant de magasin résume à lui seul la transformation en cours dans la grande distribution. La disparition du catalogue promotionnel, ce pilier centenaire du commerce, n'a pas simplement supprimé un support : elle a redistribué les cartes de toute la communication locale. Et au cœur de cette révolution, un métier s'est retrouvé propulsé sur le devant de la scène, contraint de se réinventer en urgence : celui de Community Manager.
En l'espace de dix ans, le CM de la grande distribution est passé du statut d'« animateur sympa sur Facebook » à celui de stratège digital indispensable, capable de piloter la visibilité d'un magasin, de générer du trafic en point de vente et de mesurer le retour sur investissement de chaque publication. Cette mutation n'est pas anodine : elle redéfinit les compétences attendues, les intitulés de postes et même l'organisation des enseignes. Entre internalisation stratégique et externalisation assumée, entre montée en compétences et spécialisation pointue, le métier de Community Manager est à la croisée des chemins. Est-il en train de disparaître ou, au contraire, de se renforcer sous une nouvelle forme ?

Quand le papier s'estompe, le digital explose
La disparition du prospectus papier n'est pas un phénomène marginal. Poussée par l'urgence écologique – bien que le papier a son mot à dire face au digital sur le sujet – , les réglementations anti-gaspillage et la transformation des usages, cette disparition redessine en profondeur la manière dont les enseignes communiquent avec leurs clients. « Avec l'urgence écologique et la montée en puissance du numérique, il paraît évident que le papier est amené à disparaître progressivement », constate un directeur de magasin. « On le voit déjà autour de nous : la digitalisation prend de plus en place. »
Pour certaines enseignes, la transition est déjà actée. « C'est déjà fait et ça n'a rien changé ! », affirme un responsable de magasin, soulignant que l'adaptation s'est faite naturellement. D'autres tempèrent : « Sur certains territoire, les clients sont encore férus du prospectus sous format papier, la digitalisation prend beaucoup de temps pour faciliter le parcours client. » Mais même les plus prudents reconnaissent l'inéluctabilité du mouvement.
Ce qui change fondamentalement, c'est le rapport à la promotion. « Je pense aussi que nos modes de consommation évoluent. L'attention des consommateurs est de plus en plus fragmentée à cause des écrans, et le fait de consulter un catalogue en détail deviendra sans doute une pratique du passé, un peu comme le catalogue La Redoute à l'époque », analyse un responsable communication. « Désormais, les promos se découvrent au fil du quotidien : à la radio, sur les écrans, via les réseaux sociaux, les newsletters, le bouche-à-oreille ou encore les influenceurs. On ne les cherche plus, on tombe dessus. »
Cette fragmentation de l'attention impose une nouvelle logique : pour toucher le client, il ne suffit plus de lui distribuer un prospectus en boîte aux lettres. Il faut être présent sur tous ses écrans, à tous les moments de sa journée, avec des formats adaptés à chaque plateforme. Et qui est en première ligne pour orchestrer cette présence multicanale ? Le Community Manager.
Du « post sympa » au pilotage stratégique
Il y a dix ans, le Community Manager de la grande distribution était souvent un profil junior, chargé d'animer la page Facebook du magasin avec quelques posts hebdomadaires et de répondre aux commentaires. Un rôle perçu comme accessoire, presque cosmétique, dans l'organisation commerciale. En 2025, la donne a radicalement changé.
Le CM est devenu un stratège digital multiplateforme. Il ne se contente plus de publier des visuels de promotions : il élabore des stratégies d'engagement complexes, pilote des campagnes publicitaires ciblées (Facebook Ads, Instagram Ads, Google Local), analyse les données de performance (portée, engagement, conversion en magasin), gère la relation client en ligne (messages privés, avis Google, commentaires), produit des contenus vidéo pour TikTok ou Reels, coordonne avec les influenceurs locaux, et mesure l'impact de chaque action sur le chiffre d'affaires du point de vente.
« Le vrai enjeu sera de réussir à recréer la même visibilité et le même réflexe autour des promos en digital, sans perdre les clients les plus attachés au papier », résume un manager. Ce défi impose une double compétence : communication (créativité, ton, storytelling) et marketing (ciblage, performance, ROI). Le CM n'est plus un simple exécutant, il devient un levier de croissance directement lié aux résultats commerciaux.
L'ère du contenu utile, local et incarné ou la fameuse « loi de proximité »
Mais cette montée en responsabilité s'accompagne d'une évolution qualitative majeure du contenu produit. En 2026, pour un magasin, suivre les trends ne suffit plus. La communication locale gagne en maturité. Fini le temps où il fallait surfer sur une tendance virale pour avoir des vues. L'avenir est à des contenus plus utiles, plus serviciels, plus incarnés, plus "storytellés".
Les magasins qui performent aujourd'hui sont ceux qui savent raconter leur histoire, mettre en scène leurs métiers et engager leurs clients localement. Plutôt que de republier mécaniquement les contenus nationaux ou de courir après la dernière danse TikTok, les Community Managers efficaces créent du contenu qui a du sens pour leur territoire : portraits d'équipes (le boucher passionné, la cheffe de rayon qui choisit ses produits locaux), coulisses du magasin (la préparation du rayon primeur le matin, l'arrivée des produits frais), conseils pratiques (recettes avec les produits du moment, astuces anti-gaspi, guides d'achat), et mise en valeur des partenariats locaux (producteurs, artisans, associations du quartier).
C'est « la loi de proximité : plus c'est proche, plus ça marche », résume un directeur de magasin. Les gens ne se déplacent pas pour une réduction de 20 centimes vue sur Facebook. Ils se déplacent parce qu'ils se reconnaissent dans votre magasin, parce qu'ils connaissent vos équipes, parce qu'ils savent que vous soutenez le club de foot du quartier ou que vous travaillez avec le maraîcher d'à côté. La proximité géographique ne suffit plus, il faut créer de la proximité émotionnelle. C'est là que le Community Manager devient indispensable.
Dans un contexte où la proximité et la sincérité font la différence, le contenu est devenu un levier stratégique. Bien utilisé, il valorise les équipes, attire de nouveaux clients, cultive la préférence de marque et renforce l'image du magasin sur sa zone de chalandise. Cette approche exige du CM une vraie compréhension du territoire, une capacité à identifier les histoires qui résonnent localement, et un talent pour transformer le quotidien du magasin en récit engageant.
C'est cette dimension d'utilité et d'incarnation qui différencie aujourd'hui un bon Community Manager d'un simple gestionnaire de page. Le premier crée du lien et de la valeur ; le second se contente de remplir un planning éditorial.
Cette montée en responsabilité s'accompagne d'une explosion des compétences requises. Le CM de 2025 doit maîtriser une variété de plateformes (de LinkedIn à TikTok en passant par Threads ou BeReal), comprendre les algorithmes, utiliser des outils d'intelligence artificielle pour accélérer la production de contenus (ChatGPT pour la rédaction, Midjourney pour les visuels, outils d'analyse prédictive), négocier avec des micro-influenceurs, et piloter des budgets publicitaires. Il doit aussi savoir adapter le message à chaque cible : le ton décalé pour les jeunes sur TikTok, le registre informatif pour les seniors sur Facebook, l'approche professionnelle pour les partenaires sur LinkedIn.
Le profil généraliste « je poste sur Facebook » ne suffit plus : les nouveaux noms d'un métier qui mute
Face à cet élargissement des missions, une question se pose : parle-t-on encore de Community Manager ? Sur le terrain, les intitulés de postes se transforment. On voit émerger le plus souvent des Responsable Communication et/ou Marketing souvent couteau-suisse en charge du marketing local, de la relation client ou de création de contenus. C'est vaste.
