« Sans bouchers, pas de boucherie » : Pourquoi la grande distribution ne trouve plus de bouchers

Entre départs massifs en retraite, salaires qui stagnent et métier délaissé, les rayons boucherie peinent à trouver leur relève. Enquête au cœur d'une profession en tension.
« Sans bouchers, pas de boucherie » : Pourquoi la grande distribution ne trouve plus de bouchers

« Dix-huit ans de boucherie, chef sans avoir rien signé. 1500 € nets par mois, jours fériés et samedis inclus… Je comprends mieux pourquoi le métier peine à attirer. » Le commentaire, posté sur les réseaux sociaux par un boucher voulant rester anonyme, résume à lui seul la crise que traverse la profession. En France, on dénombre aujourd'hui environ 90 000 bouchers tous circuits confondus, mais il en manquerait au moins 5000 pour satisfaire les besoins du marché. Plus d'un poste sur vingt reste vacant, faute de candidat.

La situation est critique, notamment en grande distribution où les enseignes multiplient les offres sans parvenir à recruter. Certains magasins ont même dû fermer leur laboratoire boucherie et basculer en tout-emballé, renonçant au service traditionnel qui faisait pourtant leur différence. Derrière ces rayons qui se vident, c'est toute une filière qui s'interroge : comment en est-on arrivé là ? Et surtout, comment inverser la tendance ?

Trente ans de chute continue

Le déclin du métier ne date pas d'hier. Depuis les années 1990, la profession a perdu près de la moitié de ses effectifs artisanaux. On comptait plus de 30 000 boucheries indépendantes dans les années 1980, contre environ 16 000 aujourd'hui. La grande distribution, qui capte près de 75% des ventes de viande fraîche depuis la fin des années 90, est devenue le principal employeur de bouchers. Mais elle peine désormais à assurer la relève.

La pyramide des âges est alarmante : l'âge moyen des bouchers avoisine la cinquantaine, et environ 20% des chefs-bouchers partent en retraite chaque année sans succession. Les baby-boomers qui ont porté le métier pendant des décennies quittent massivement la vie active, tandis que les jeunes générations boudent les filières de formation. Entre 1995 et 2005, le nombre de diplômés du CAP Boucher a chuté de manière significative, touchant son point le plus bas au milieu des années 2000.

Les raisons ? Une image dégradée du métier (travail physique, horaires contraignants, froid), une valorisation insuffisante des filières manuelles dans l'orientation scolaire, et surtout, des conditions salariales jugées inadaptées à la pénibilité et au niveau d'expertise requis.

« On tue nos métiers à coup de grilles tarifaires »

Le témoignage d'un patron de deux Intermarché frappe par sa franchise : « On est en train de tuer nos métiers de la zone marché à coup de grilles tarifaires et de tableaux Excel. Un chef boucher, un chef poissonnier, un chef pâtissier… Ce n'est pas un simple exécutant. C'est un artisan, un passionné, un pilier du commerce. Et aujourd'hui, on les paie comme des numéros sur une ligne budgétaire. Résultat ? Les bons partent. Les rayons se vident. Et la passion s'éteint doucement derrière les vitrines. »

Son constat rejoint celui de dizaines de professionnels : tant que les grilles salariales standardisées primeront sur la reconnaissance du talent, les meilleurs continueront de partir. « Vous voulez du chiffre, de la marge, de la fidélité client ? Alors payez le talent à sa juste valeur », poursuit-il. « Un professionnel, un vrai, te rapporte dix fois ce qu'il te coûte. Parce que lui, il sait donner envie, il sait vendre, il incarne ton magasin. »

Sur le terrain, les témoignages confirment cette tension. « Tant qu'on ne paiera pas correctement les gens, ils partiront », résume un manager. « Avec les horaires, les contraintes, la charge physique, il ne faut pas s'étonner de ne pas trouver de candidats. » Un autre boucher enfonce le clou : « Normal qu'on ne trouve plus personne : horaires compliqués, travail dur, salaires bas, aucune évolution, et des managers souvent trop zélés. »

Pourtant, des contre-exemples existent. Un directeur de magasin témoigne : « Chez nous, on est plutôt bien payés : 2100€ brut. Comme quoi, c'est possible. » De même, une poissonnière passée en intérim boucherie raconte avoir doublé son salaire : « Les missions s'enchaînent sans problème, la demande est énorme. »

Le marché parle : quand on reconnaît le talent et qu'on le rémunère correctement, les bouchers sont là. Le problème n'est donc pas tant le manque absolu de candidats que le manque de volonté, ou de moyens, de les valoriser.

La charge invisible : entre passion et épuisement

Au-delà du salaire, c'est aussi la charge de travail qui pèse. Une bouchère depuis six ans, formée en interne et diplômée d'un CQP, témoigne : « J'adore mon métier, vraiment. Mais quand on veut bien faire, la charge de travail est énorme, et le manque de personnel rend tout encore plus difficile. La santé physique et mentale en prend un coup. On s'accroche, mais parfois, l'envie d'envoyer tout balader est bien là… »

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